Fin de vie : « L’ultime demande »

« L’ultime demande » est celle que formulent à répétition certaines personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, lorsque leurs ss souffrances ne peuvent être apaisées par les soins ni curatifs ni non plus palliatifs. 

L’existence de telles souffrances réfractaires a longtemps été niée en France. Elles sont l’angle mort tant des lois de 1999 que de 2002, 2005 et même encore de 2016. 

Nos lois promettent en effet que toute souffrance sera prévenue, prise en compte et traitée mais c’est là une promesse qui ne pourrait toujours pas être tenue même si les soins palliatifs étaient étendus à tout le territoire. Car même soignés au sein d’unités de soins palliatifs,  certains malades demandent à être aidés à mourir.  

Cela ressort d’au moins deux études scientifiques réalisées par des spécialistes des soins palliatifs, publiées en 2014 et 2022. L’Académie de médecine a reconnu elle-même dans un avis du 27 juin 2023 l’existence de « souffrances inhumaines » auxquelles les soins palliatifs ne peuvent remédier.

 

 

De nombreux pays ont d’ores et déjà acquis l’expérience de l’aide à mourir. Cette expression d' »aide à mourir » regroupe les expressions traditionnelles, mais trop polysémiques pour être utiles, de « suicide assisté » et d’ « euthanasie ». En termes concrets, il s’agit de l’auto-administration d’un produit létal par le malade, ce qui suppose qu’il puisse faire encore lui-même le dernier geste, ou de l’administration du produit par un tiers à la demande du malade, généralement par voie d’injection (sans les risques de régurgitation liés au fait de devoir boire la substance létale).

Dans la plupart des pays d’Europe, comme au Canada, les législations existantes reposent sur une solidarité entre soignants et patients, les premiers acceptant d’apporter une aide aux seconds pour répondre à leur « ultime demande ». Les lois donnent alors généralement le choix aux malades entre auto-administration ou injection du produit létal. 

Dans  l’état américain de l’Oregon et une dizaine d’autres états aux Etats-Unis, ainsi qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande, les lois sont plus restrictives quant aux bénéficiaires de l’aide à mourir, car elles ajoutent une condition de pronostic vital engagé à moyen terme (dans les six mois le plus souvent, un an en Australie pour les malades atteints de maladies neuro-dégénératives), dont il n’existe pas à ce jour l’équivalent en Europe. Elles limitent en outre le rôle du médecin à celui de prescripteur de la solution létale. 

 

 

En France le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), longtemps réticent à toute aide active à mourir, a enfin ouvert la voie à cette possibilité dans son avis 139 publié en septembre 2022. Il a explicitement reconnu qu’il existe des « souffrances réfractaires », physiques ou psychiques, qu’aucun soin ne peut apaiser et pour lesquelles la seule solution pour soulager le malade est de lui faire perdre définitivement conscience. C’est pour ce type de souffrances que la loi dite Claeys Leonetti de 2016 a conçu la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, mais qui ne peut techniquement intervenir que quelques heures ou quelques jours avant le décès dit « naturel ». Le CCNE relève qu’au-delà les risques de réveil intempestif pour le malade deviennent trop importants, et que soulager ses souffrances potentielles nécessite une surveillance constante. Constatant les « impasses » de la législation française pour les malades subissant de telles souffrances alors qu’ils peuvent vivre plus que quelques jours, le CCNE a reconnu que seule l’aide active à mourir peut dans ce cas répondre à leur demande d’être soulagés

Une loi est nécessaire pour organiser et, dans ce cadre, dépénaliser cette aide à mourir. 

 

« L’aide à mourir paisiblement :
une liberté à notre portée»

« Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »  Telle était la question posée aux 185 membres de la convention citoyenne qui en ont débattu du 9 décembre 2022 jusqu’au 2 avril 2023. Ils se sont prononcés unanimement pour modifier la loi actuelle et très majoritairement pour l’ouverture d’une aide à mourir, en même temps que pour une extension des soins palliatifs et pour une véritable stratégie à cette fin.

En les recevant, le président de la République avait annoncé le 3 avril 2023 qu’un projet de loi serait élaboré d’ici la fin de l’été 2023 sur «la base de cette référence solide qui est celle de la convention citoyenne»

Après avoir différé cette échéance, il a enfin, le 10 mars 2024, présenté le contenu du projet de loi qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir de fin mai. 

 

Ce projet de loi intègre d’abord les trois conditions essentielles qui caractérisent le modèle européen, tel qu’il ressort notamment d’un arrêt du 4 octobre 2022 de la Cour européenne des droits de l’homme (Mortier c.Belgique) : 

– La demande du malade doit être « libre et faite en connaissance de cause ».

– Sa situation médicale doit être irrémédiable.

– Ses souffrances physiques ou psychologiques lui sont insupportables.

Mais le président de la République s’est hélas inspiré du modèle américain en ajoutant une condition de  pronostic vital engagé à moyen terme.

Celle-ci présente deux gros inconvénients :

-elle est de nature à rendre la loi quasiment inapplicable, comme la loi de 2016 l’est dans les faits, en introduisant une notion temporelle alors qu’à peu près tous les médecins s’accordent à dire qu’ils sont incapables d’attester que tel malade n’a plus qu’une espérance de vie de x jours, semaines ou même mois; 

-elle laisse de côté dans tous les cas les malades atteints de maladies neuro-dégénératives qui peuvent hélas devoir supporter longtemps une perte progressive de toute autonomie, en vivant plusieurs années ainsi.

Alors, pourquoi diable s’inspirer en France, en ajoutant la condition d’un pronostic vital engagé à moyen terme, du modèle américain plutôt que d' »agir en Européen » ?

Il n’en est donné aucune explication et il faut donc espérer que les députés sauront ne pas s’enfermer dans de tels principes abstraits, mais donner toute leur place à des considérations très pratiques et concrètes pour enrichir le projet de loi.  

L’objectif doit être en effet d’aboutir à une loi effectivement praticable, dans le respect des soignants comme des patients, pour des fins de vie enfin apaisées. 

Soins palliatifs et aide à mourir, loin de s’opposer, se complèteront alors, les premiers ayant vocation à répondre aux besoins de la majorité des personnes en fin de vie, la seconde devant prendre le relais en cas de souffrances réfractaires si le malade en fait expressément la demande.

 Lorsqu’existera enfin dans notre législation et dans nos pratiques une liberté de pouvoir mourir paisiblement, elle  sera alors aussi pour tous une aide à vivre, dans la confiance de pouvoir, si nécessaire, être non seulement écoutés mais aussi entendus le jour venu. 

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